Quel ne fut pas mon étonnement lors d'une visite à un copain adolescent comme moi, dans la cour de sa grande demeure familiale située dans les hauteurs de Sofaïa, il me coupa la parole en me sortant brusquement: "On ne parle pas créole dans cette maison" !

Plus qu'un étonnement, ce fut un réel choc !

Contrairement à ce que j'avais observé sur ma terre natale, j'avais l'impression qu'en Guadeloupe, le créole n'était pas réservé au petit peuple illettré, mais tout comme le carnaval ou les musiques traditionnelles, les notables de cette île affichaient cette langue comme un élément fort et essentiel de leur identité nègre qu'ils défendent bec et ongles.

Pourquoi donc cette contradiction ?

Le créole est trop vulgaire, pensent encore nombreux parents. Certains amis sont souvent étonnés d'entendre mes enfants s'exprimer dans cette langue, eux qui n'ont jamais passé plus de 2 semaines sur le sol antillais.

Non, ça ne leur empêche absolument pas de parler un bon français. Bien au contraire !

C'est déjà un bilinguisme avec lequel ils s'amusent fort bien.

Alors posons-nous la question:

Ces gens ont peur de quoi ?

En vérité qu'ils soient de la Louisiane, de la Réunion ou de la Caraïbe, il faut fréquenter les peuples créoles pour comprendre leurs rapports avec cette langue. Elle est certes différente d'un coin à l'autre, mais le dénominateur commun, c'est l'esclavage de nos ancêtres.

Et oui, moi aussi, je la ramène avec ce sujet qui énerve tant de personnes qui estiment qu'il faut tourner la page. A ces gens-là, je réponds qu'avant de tourner la page, il faut prendre le temps d'ouvrir le livre!

Cette langue est née dans la douleur et l'oppression. C'est la langue de la survie, c'est la langue sauvages, par rapport à la langue des gens de bien dans laquelle je m'exprime actuellement.

Pendant l'esclavage, il y avait les blancs et les noirs. Il y avait la langue des blancs, et celles des noirs venus de différents coins d'Afrique. Après l'esclavage, il y avait les blancs, les mulâtres et les noirs. Il y avait la langue des blancs et des mulâtres et de l'autre côté celle des mulâtres et des noirs.

Aujourd'hui Dans certains contextes, le parler créole est synonyme de tutoiement, car cette politesse grammaticale n'existe pas dans notre langue.

Sachant la proximité des rapports dans les familles antillaises, si on interdit à ses enfants de s'exprimer en créole, nous pouvons nous engager à dire que ce n'est pas par souci de politesse.

L'histoire du créole en fait une langue identitaire, une langue à responsabilité. Ne s'exprime en créole que celui qui a assez de maturité pour le faire. Bien souvent, ces jeunes qui n'ont pas le droit de s'exprimer en créole devant les parents ne parlent que créole avec les copains dans la cour de récréation.
Les parents n'interdisent pas de parler créole, pour preuve, lorsqu'ils sont entouré de leurs proches, les vrais, ils ne parlent que créole, et ce, avec les enfants autour. ils interdisent surtout de s'adresser à eux en créole, car ce serait déjà affirmer une rébellion qu'ils ne sauraient tolérer.

Il est tellement agréable de constater qu'une fois devenu pubère après avoir passé quelques temps loin de la maison, la réponse en créole renvoyée à la question dans cette même langue s'apprécie par un petit sourire à peine masqué. On se sent alors accueilli parmi les grands !

Si les parents qui vivent aux Antilles peuvent se permettre ce luxe, j'invite ceux de l'hexagone et d'ailleurs à réfléchir à la place qu'ils accordent à cette langue dans leurs foyers. Loin du pays, plus tard sera trop tard !

LA LANGUE CRÉOLE

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